Il y a 11 ans
vendredi 11 septembre 2009
Taxe carbone : il est anormal d'exonérer l'électricité
Le président Sarkozy a décidé d'instaurer ce qui est quand même une nouvelle taxe : la taxe carbone. Cette taxe pose de nombreuses questions politiques, et en particulier sur les systèmes de compensation en faveur des ménages les plus vulnérables, questions dont je ne débattrai pas ici.
Il me semble que cette nouvelle taxe est aussi entachée d'un grave pêché originel : avoir exclu l'électricité du dispositif.
En effet, la recherche de l'efficacité économique, écologique, environnementale et énergétique (je retrouve mes 4E) veut que l'on signale aux consommateurs le coût qu'engendre pour la collectivité leurs choix de consommation. C'est aussi simple que cela.
Or que se passe-t-il quand on branche un radiateur électrique, ou une ampoule, on qu'on fait fraîchir sa bière au frigo ? Quel coût cela engendre-t-il pour la collectivité ? Fait-on fonctionner plus une centrale nucléaire, une centrale hydraulique, une centrale charbon, une centrale fioul ? Là est toute la question.
Les économistes savent, et les électriciens aussi depuis les travaux de M. Marcel Boiteux, que le "bon signal" à envoyer est celui qui correspond à la production "marginale", c'est à dire au moyen de production qui modulera sa consommation afin de satisfaire la demande supplémentaire que vous engendrerez. Or, la centrale que l'on choisit de faire moduler est nécessairement la centrale la plus coûteuse (car pour minimiser les coûts, les centrales moins coûteuses sont déjà exploitées à leur pleine capacité).
C'est ce qu'on appelle dans le jargon le "merit order" : on satisfait la demande totale en utilisant prioritairement les centrales les moins chères (typiquement nucléaire ou hydraulique "au fil de l'eau") jusqu'aux plus chères (typiquement les centrales au fioul). Et une variation de demande fait moduler la centrale la plus chère que l'on appelle la "centrale marginale".
Or, contrairement à ce qu'on pourrait penser vu le tapage qu'EDF fait le nucléaire, la centrale marginale en France est la plupart du temps une centrale charbon voire une centrale au fioul.
J'ai joint le graphique qui montre, pour la journée du 9 septembre (dernière date connue sur le site de RTE) le profit de production : on y voit très nettement que les centrales charbon sont toujours en fonctionnement.
Les données RTE montrent ainsi que sur les 12 derniers mois, les centrales charbon ou fioul étaient marginales 80% du temps (plus précisément, produisaient plus de 1000 MW pendant 80% du temps), ce taux atteignant 87% pendant l'hiver.
Or les émissions de CO2 des centrales charbons ou fioul sont très importantes, surtout si on fait un bilan comparé entre chauffage électrique et chauffage au gaz. Et ce pour trois raisons :
- le charbon comme le fioul ont un contenu intrinsèque en carbone plus important que le méthane (gaz naturel) ;
- la production électrique est un processus qui a un faible rendement (de l'ordre au mieux de 35 à 40% pour les centrales existantes), le reste de l'énergie étant dissipé dans la nature (d'où les panaches de vapeur en sortie des tours aéro-réfrigérantes) ;
- le transport et la distribution d'électricité engendrent des pertes par effet Joule (de l'ordre de 5 à 10%).
Au total, il est écologiquement et économiquement nettement plus efficace de brûler 1 kWh de gaz dans une chaudière domestique que de brûler 3 kWh de charbon dans une centrale thermique afin de livrer 1 kWh électrique chez le client.
Il est donc impératif de taxer aussi l'électricité si on veut garder une quelconque cohérence et une efficacité au dispositif. Et à tout prendre, il vaut mieux ne taxer ni le gaz ni l'électricité plutôt que de taxer le gaz seulement : cela éviterait que les consommateurs ne choisissent de s'équiper en chauffage électrique pour éviter d'avoir à payer la taxe sur le gaz.
Mais rassurons nous, les hausses de prix annoncées par M. Gadonneix (+20%) correspondent à une taxe non dite des français. La différence est que cette taxe va aux actionnaires d'EDF, et non pour des projets en faveur des économies d'énergie ; et que les hausses concoctées par M. Gadonneix semblent avoir été adoucies pour les clients "gaspi" (voir un autre de mes billets).
(NB : pour ceux qui se poseront des questions sur le rôle de l'hydraulique, je rappelle que la production hydraulique est une ressource énergétique fixe : on ne peut sur une année produire plus qu'il ne tombe d'eau dans les réservoirs. En conséquence, l'hydraulique ne fournit pas, in fine, de l'énergie en modulation).
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2 commentaires:
Quelques commentaires sur votre analyse qui, bien qu'intéressante, n'en est pas moins inexacte sur plusieurs points.
1. Les centrales thermiques paient déjà le CO2 à travers les marchés de quotas. Ainsi, marginalement, le coût d'un MWh supplémentaire produit par une centrale thermique comprend déjà le coût du CO2 émis (qui, sinon, aurait revendu sur les marchés de CO2). Par conséquent, taxer l'électricité au titre des émissions de CO2 serait superfétatoire.
EDF structure son tarif de détail de telle sorte qu'il reflète les coûts de production, y compris la part CO2.
2. Les centrales thermiques sont marginales la plupart du temps en France. Toutefois, ce qui compte, ce n'est pas uniquement le coût marginal à court terme, mais également le coût marginal à long terme (aussi appelé coût de développement) qui incorpore les investissements de remplacement et de capacité nécessaires pour répondre à la demande. Or, ce coût de développement est constitué du mix énergétique cible, qui comporte une part importante de nucléaire.
3. L'hydraulique fil de l'eau n'est, en effet, jamais marginal. Toutefois, l'hydraulique lac, notamment de type STEP, fournit une ressource utile à l'extrême pointe, en substitution de turbines à combustion. Le fait que l'énergie ainsi produite soit en quantité limitée chaque année s'exprime sous la forme d'un coût non nul, calculé comme la valeur d'option de la réserve d'eau, qui dépend donc du niveau et de la volatilité du coût marginal des moyens de production antémarginaux.
@Anonyme,
vos commentaires sont intéressants mais un peu approximatifs :
1- La plupart des quotas CO2 sont alloués gratuitement à EDF. On ne peut donc dire que c'est déjà inclus dans les coûts, ni que cette taxation serait superfétatoire.
2- La question est de savoir quelle sera la durée de marginalité nucléaire à long terme... vaste débat. Mais ce long terme n'arrivera pas avant au moins 5 voire 10 ans et mon approche reste pertinente sur cet horizon.
3- OK avec vous sur l'hydraulique, qui est géré en "valeur d'usage du stock" pour ce qui concerne les STEPs et l'hydraulique de lac. Mais cela veut dire que l'hydraulique en valeur d'usage a aussi un contenu CO2 qui est le contenu en CO2 du thermique auquel il se substitue.
Vous avez visiblement une certaine connaissance de l'économie du secteur électrique, seriez vous à EDF ?
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