mardi 23 septembre 2008

EDF : une augmentation des tarifs qui en cache une autre ?

Entre un actionnaire visiblement trop gourmand, qui ponctionne 75 % des bénéfices et lui vend l’énergie à des prix très élevés, et des besoins de financement pour moderniser son réseau, on comprend qu’ERDF (Electricité Réseau Distribution France) ne puisse que plaider pour une hausse du TURPE (Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité).
Espérons cependant que la Commission de régulation de l’énergie ne soit pas dupe et qu’elle fasse en sorte que le TURPE ne serve pas à financer l’achat par EDF de… British Energy.Selon une tradition maintenant bien établie, c’est en plein milieu de l’été que fut annoncée la hausse annuelle des tarifs réglementés[1] d’EDF. Certes, en cette période d’inflation grandissante, cette hausse de 2 % apparaissait bien modeste pour les clients particuliers (mais nettement plus conséquente pour les clients industriels aux tarifs dit « jaune » et « vert » pour qui les prix ont augmenté de 6 % et 8 % respectivement)[2].
Cependant, cette hausse pourrait en cacher une autre : dans une déclaration publiée dans La Tribune du 27 août dernier Michel Francony, président du Directoire d’ERDF[3] demandait en effet une hausse de 15 % du tarif de distribution de l’électricité ou TURPE[4] (c’est-à-dire de la part correspondant à l’acheminement de l’électricité sur le réseau basse et moyenne tension d’EDF). Par ailleurs, RTE (une autre filiale d’EDF, qui gère les infrastructures en haute et très haute tension) a fait une demande de hausse de ses propres tarifs. ERDF qui « achète » à RTE son accès au réseau devrait répercuter cette hausse complémentaire et au total les clients particuliers connectés au réseau d’ERDF subiraient une hausse de prix de 20 % de leur tarif d’acheminement de l’électricité (TURPE).
« Subiraient », le mot n’est pas complètement adapté. Car, en effet, les clients comme vous et moi ne payons pas directement le TURPE à ERDF, nous payons notre fournisseur (EDF pour la plupart) qui doit, en tant que fournisseur, payer ERDF. Au total EDF devrait ainsi payer 20 % plus cher l’acheminement de l’électricité à sa filiale à 100 % ERDF, cela ne nous concernerait donc pas directement.
Mais évidemment, tout cela n’est pas qu’un jeu entre EDF la maison-mère et ERDF la filiale. Et d’ailleurs, c’est M. Francony lui-même qui annonce la couleur et déclare dans le même article que « ce n’est pas aux producteurs et aux fournisseurs de prendre sur leur marge pour financer la modernisation et le développement du réseau. Je plaide donc pour que la future hausse du Turpe soit répercutée dans le tarif réglementé ». Tout est dit : le tarif réglementé que vous et moi payons doit être augmenté pour couvrir la hausse du TURPE. Sachant que le TURPE représente une bonne moitié du prix final de l’électricité, la hausse résultante serait donc de 10 %.
Alors, pourquoi une telle demande de hausse du TURPE ? Deux éléments principaux sont avancés : la hausse du coût de compensation des « pertes » et les besoins d’investissements pour moderniser les réseaux et améliorer la qualité de fourniture.
La question des pertes
Le réseau d’ERDF, comme tous les réseaux électriques, subit des pertes techniques qui résultent d’un phénomène physique (effet Joule) et sont donc largement inévitables. En l’occurrence, les pertes d’ERDF se montent à 22 TWh[5], soit peu ou prou l’équivalent de la production de deux tranches nucléaires. Or, d’après M. Francony, ERDF serait obligé par Bruxelles d’acheter ces pertes sur les marchés de gros, au prix de 90 €/MWh contre 30 €/MWh il y a trois ans. Le coût de compensation des pertes d’ERDF aurait ainsi augmenté d’1,3 milliard d’euros par an. C’est simple, c’est difficilement contestable, et cela semble légitimer une hausse du TURPE.
Seulement voilà, ce n’est pas si simple que M. Francony veut le laisser entendre.
Tout d’abord, la hausse des prix de marché de gros n’est pas si importante que cela : les prix de gros se situaient plutôt autour de 40 €/MWh en 2005, et ils ont d’ailleurs fini l’année 2005 à plus de 50 €/MWh. Ensuite, il n’est pas vrai qu’ERDF était obligé par Bruxelles de se fournir sur les marchés de gros : les quelques distributeurs indépendants qui existent encore en France se fournissent d’ailleurs directement auprès d’EDF à un tarif nettement plus avantageux sans que Bruxelles n’ait sourcillé.
Mais l’essentiel n’est pas là, l’essentiel c’est qu’ERDF achète son énergie sur le marché de gros et que c’est in fine EDF, son actionnaire, qui fournit cette même énergie sur le marché de gros : EDF détient en effet près de 90 % de la production en France ; c’est donc elle qui vend, sous le voile du marché de gros, à ERDF.
Je résume donc la situation :
ERDF voit sa facture d’énergie (pour compenser les pertes réseau) augmenter d’1,3 milliard… essentiellement au bénéfice de son actionnaire EDF ; ERDF demande donc une augmentation de ses tarifs TURPE et… une hausse parallèle des tarifs réglementés d’EDF pour « compenser » la hausse du TURPE.
Par cette pratique d’habile bonneteur, EDF serait donc gagnante deux fois (elle vendrait plus cher son énergie à sa filiale et obtiendrait une hausse des prix réglementés) et ne serait perdante qu’une seule fois (elle subirait une hausse du TURPE). Comme EDF produit à partir de centrales nucléaires, dont les coûts n’ont pas sensiblement augmenté en trois ans, on comprend que ce jeu lui soit hautement profitable.
Où vont les bénéfices d’ERDF ?
Le second argument invoqué pour légitimer la hausse du TURPE est le besoin d’investissement. Et là, M. Francony ne fait pas dans la dentelle : il reconnaît explicitement que la qualité de service s’est dégradée (72 minutes de coupure en moyenne) au point qu’il n’a pas respecté les obligations résultant du contrat de service public signé avec l’Etat (qui prévoit une durée moyenne inférieure à 60 minutes)… pour conclure qu’on doit donc augmenter le TURPE.
Même si le procédé est choquant (dans ma carrière, je n’ai jamais vu quelqu’un demander une augmentation de salaire au motif qu’il n’avait pas atteint ses objectifs contractuels), on ne peut que se féliciter qu’ERDF prenne conscience de la dégradation de la qualité de service et cherche à agir pour l’améliorer.
On peut cependant s’interroger sur les montants pharaoniques qui sont prévus : 10 milliards d’euros, soit 450 €/client, pour diminuer de 12 minutes le temps moyen de coupure annuel, ça fait quand même cher de la minute : à ce prix-là je veux bien qu’on me coupe l’électricité 120 minutes par an et qu’on me donne, en contrepartie, 4 500 € !
Mais il y a plus troublant : si ERDF a des besoins de financement aussi importants, on devrait s’attendre à ce que son actionnaire, c’est-à-dire EDF, soit soucieux de lui assurer des capacités de financement suffisantes. Or, EDF a ponctionné 75 % des bénéfices 2007 d’ERDF. De deux choses l’une : ou EDF avait conscience des besoins de financement d’ERDF et elle a eu une attitude guère responsable, soit, hypothèse qui me paraît plus probable, elle n’avait pas conscience des besoins d’investissement d’ERDF et on peut alors se demander légitimement si cela ne veut pas dire que M. Francony a sur-estimé très largement ses besoins d’investissements.
En tout état de cause, le fait qu’EDF se verse 75 % des dividendes d’ERDF n’est pas sans surprendre quand on constate, à l’inverse, qu’EDF ne remonte qu’une très faible part – de l’ordre de 15 % – des bénéfices distribuables de ses filiales étrangères. Cela revient en quelque sorte à ponctionner les clients du monopole en France pour financer le développement international.
Entre un actionnaire visiblement trop gourmand, qui ponctionne 75 % des bénéfices et lui vend l’énergie à des prix très élevés, et des besoins de financement pour moderniser son réseau, on comprend qu’ERDF ne puisse que plaider pour une hausse du TURPE.
Espérons cependant que la Commission de régulation de l’énergie, ne soit pas dupe et qu’elle fasse en sorte que le TURPE ne serve pas à financer l’achat par EDF de… British Energy.
[1] Le tarif dit « réglementé » est le tarif « EDF » que nous payons vous et moi en tant que client final, ce tarif global comprend la production, le transport, la distribution et la fourniture de l’électricité.
[2] www.cre.fr/fr/content/download/5822/124911/file/080812_ArreteElec_TRV.pdf
[3] ERDF est la filiale à 100 % de distribution d’EDF.
[4] http://www.latribune.fr/info/Michel-Francony----nous-voulons-une-hausse-de... [5] Le Tera Watt-heure (TWh) représente 1 milliard de kilo wattheure.

vendredi 20 juin 2008

Les actionnaires EDF veulent plus que la lumière

Dans un mouvement inédit, les salariés-actionnaires d’EDF viennent d’écrire une lettre aux parlementaires et au Gouvernement critiquant l’extension d’un dispositif réglementaire : le tarif d’ajustement du marché ou TARTAM[1]. Ce dispositif permet aux industriels et aux professionnels de continuer à bénéficier de conditions de prix modérées alors même qu’ils n’ont plus le droit aux tarifs réglementés traditionnels.

On comprend que les actionnaires aient un intérêt à supprimer tout plafonnement des prix qu’EDF doit pratiquer car ceci revient in fine à réduire les revenus d’EDF et donc la valeur de l’action. Cependant, les actionnaires-salariés, qui ont pour la plupart acheté leurs actions à moins de 25 € (après remise de 20% sur le prix d’ouverture, abondement de l’entreprise et distribution d’actions gratuites) ne peuvent pas vraiment se plaindre de leur situation actuelle : l’action EDF vaut actuellement 62 € soit un gain de 148% en 30 mois.

Mais le capitalisme vu des salariés d’EDF, est le capitalisme du « toujours plus » : pourquoi se contenteraient-ils d’une plus value de 148% alors que si les prix de l’électricité étaient totalement libéralisés, ils pourraient engranger des gains encore plus colossaux ? Ce faisant, ces salariés modèles ne font d’ailleurs que suivre l’exemple donné du plus haut de l’entreprise publique puisque M. Gadonneix, PDG d’EDF a vu son salaire augmenter de 92% en seulement deux années (voir par exemple l’article le concernant sur Wikipedia, dont j’ai recoupé les calculs).

Il est plus surprenant de voir les salariés justifier leur demande dans l’intérêt même de l’entreprise. En effet, à les entendre, le TARTAM pourrait nuire à la « compétitivité » du groupe EDF. J’ai du mal à comprendre comment une baisse des prix peut réduire la compétitivité d’un groupe : la compétitivité est liée aux coûts de l’entreprise (on peut réduire la compétitivité en taxant une entreprise, ce qui réduit la capacité de l’entreprise à baisser ses prix et donc à contrer la concurrence), non à l’imposition de prix bas.

Il est vrai que le mécanisme du TARTAM est plus complexe que ce je décris, mais l’essentiel est là : plus que d’une baisse de compétitivité réelle du groupe les salariés-actionnaires comme les dirigeants d’EDF se plaignent au fond que le TARTAM réduit leurs revenus nets (leur EBITDA dans le langage des financiers) et diminueraient donc la capacité du groupe à investir à hauteur de 1,5 milliards d’Euros tous les deux ans[2].

A l’heure où EDF s’apprête à dépenser plus de 15 milliards d’Euros –soit 20 années de TARTAM !- dans un projet aventureux de rachat de l’opérateur nucléaire britannique[3], on n’a pourtant pas l’impression que le groupe manque d’argent. Et qui plus est, on peut penser qu’il est plus utile de « dépenser » cet argent au bénéfice des clients français plutôt qu’en enrichissant l’actionnaire britannique de British Energy dont en particulier l’Etat britannique.

Mais il faut croire que les entreprises, comme les hommes qui les dirigent, sont adeptes du « toujours plus ».

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[1]http://www.lefigaro.fr/societes-francaises/2008/06/20/04010-20080620ARTFIG00444-les-actionnaires-salaries-d-edf-mecontents.php
[2] http://www.boursorama.com/infos/actualites/detail_actu_societes.phtml ?news=5621270&symbole=1rPEDF
[3] http://www.mediapart.fr/journal/economie/170608/edf-la-contestable-acquisition-de-british-energy

jeudi 17 avril 2008

EDF se trompe sur les pompes

Je viens de recevoir un courrier d’EDF me proposant de participer à un « quizz » (avec deux z, comme Zzorro). D’habitude, je jette ce genre de courrier directement mais, étant intéressé par un voyage en Norvège, j’ai pour une fois décidé de me livrer à ce jeu (jeu-archi-co2.com)

Je me suis arrêté à la première question : combien de CO2 une pompe à chaleur émet-elle en moins par rapport à une chaudière traditionnelle ?

Trois choix sont proposés : deux fois moins, quatre fois moins ou six fois moins. Et EDF livre généreusement un indice : « il suffit de 25% d’énergie électrique pour assurer 100% du chauffage ».

Tout est fait pour que la personne non avertie réponde spontanément : je consomme 4 fois moins d’énergie, et donc quatre fois moins de C02 et c’est exactement ce qu’EDF attendra d’elle car c’est bien la « bonne réponse » qui vous permettra peut-être de gagner un voyage en Norvège.

Cette évaluation est cependant grossièrement fausse car elle résulte de deux approximations qui, toutes deux, jouent étrangement à l’avantage d’EDF (je passe sur le fait qu’il faut en pratique plutôt 30% d’énergie électrique pour assurer 100% de chauffage).

La première est d’assimiler l’énergie électrique à de l’énergie thermique, ce qui est absurde d’un point de vue physique. En effet pour produire de l’électricité, il faut utiliser de l’énergie thermique mais le rendement de conversion n’est pas de 100%, il est au mieux de 50% (après prise en compte des pertes par effet joule sur le réseau électrique). Autrement dit, il suffit peut être de 25% d’énergie électrique pour produire 100% de chauffage thermique mais il faut 50% d’énergie thermique pour produire 25% d’électricité.

D’après ce calcul une pompe à chaleur émettrait donc deux fois moins de C02 qu’une chaudière traditionnelle. Ce fut ma réponse spontanée qui me valut de voir disparaître mes rêves norvégiens.

Mais la seconde approximation est plus pernicieuse et revient à considérer que le contenu en CO2 de l’énergie thermique utilisée pour produire de l’électricité est le même que le contenu en CO2 de l’énergie thermique utilisée pour une « chaudière traditionnelle ».

Or actuellement, les statistiques publiées par RTE (gestionnaire du réseau électrique) montrent que pendant la période de chauffage, EDF doit appeler principalement des centrales au fioul ou au charbon pour produire la demande supplémentaire. Or le fioul et le charbon émettent, à énergie thermique égale, environ 50% de CO2 en plus que le gaz naturel : avec une pompe à chaleur on consommerait donc bien deux fois moins d’énergie mais l’énergie qu’on consommerait serait 50% plus émissive de C02...

Je ne me livre pas à tous les calculs qui dépendent en réalité du type de chaudière (fioul/gaz), du rendement exact des centrales thermiques, du rendement des chaudières... Au total, il n’est pas clair que les pompes à chaleur économisent beaucoup de CO2 par rapport à des chaudières au gaz (même si elles peuvent avoir d’autres avantages par ailleurs, notamment si elles remplacent du chauffage électrique ou des chaudières au charbon vétustes... qui gagneraient en tout état de cause à être remplacées par des chaudières au gaz naturel).

A long terme, on pourrait penser développer plus de nucléaire pour produire l’électricité à la place des centrales au charbon et au fioul, les pompes à chaleur seraient alors intéressantes du point de vue du CO2 (avec cependant l'inconvénient de produire des déchets nucléires : c’est un autre débat). Mais le prochaine réacteur de Flamanville étant prévu pour 2012 (avec des retards probables) et aucune autre installation n’étant programmée, ce n’est pas demain la veille.

En attendant, je laisse chacun commenter la communication d’EDF.