EDF est parfois accusée de manipuler les prix de marché de gros. A défaut d’éléments de preuve directs, j’essaie dans ce court billet de montrer les mécanismes possibles d’une telle manipulation et d’en déceler quelques indices.
Pour une entreprise très largement dominante comme EDF, il y a deux manières principales de manipuler les prix sur les marchés de gros :
- elle peut directement fixer ses prix d'intervention sur les marchés de gros à des niveaux très supérieurs à ses coûts marginaux (coûts des moyens de production les plus chers appelés, la théorie économique montre que normalement une entreprise qui « ne manipule pas les prix » vend à prix égal à sont coût marginal) ;
- elle peut aussi diminuer la quantité à bas coût mise sur le marché (on parle de rétention de capacité), ce qui fait qu’elle augmente ses coûts marginaux et donc ses prix d’intervention sur le marché et, in fine, les prix de marché eux-mêmes.
La première méthode est risquée, car le régulateur surveille qu’EDF fixe ses prix à des niveaux cohérents avec ses coûts marginaux. Même si le travail de contrôle du régulateur peut être complexe pour des raisons techniques (valorisation des « valeurs d’usage » des centrales d’hydrauliques par exemple, valorisation du coût de « défaillance », etc.), il y a de bonnes chances qu’un régulateur puisse repérer de tels comportements.
La seconde méthode est plus subtile : elle consiste à ne pas faire fonctionner certaines centrales peu coûteuses (en gros, les centrales nucléaires, dont le coût variable est moins élevé) et ce même si elles sont physiquement disponibles. Ce faisant, EDF perdrait certes de l’argent d’un côté (du fait qu’elle ne fait pas fonctionner des centrales qu’il serait rentable de faire fonctionner), mais d’un autre côté elle pourrait gagner du fait qu’elle vendrait la production de ses autres centrales à un prix plus élevé.
Elle aurait aussi d’autres avantages à plus long terme : par exemple, des prix de marché plus élevés rendent plus acceptable une hausse des tarifs réglementés et incitera même la Commission Européenne à demander la disparition des tarifs, ce qui correspond clairement à la stratégie d’EDF (voir mon autre billet).
L’histoire a montré que ce genre de manipulation existait. Nuclear Electric (l’ancêtre de British Energy qui vient d’être racheté par EDF) en est un bon exemple (voir ici).
Le fait qu’EDF ait la possibilité théorique de manipuler les prix, ne veut pas dire qu’EDF manipule les prix, évidemment. Cependant, un élément troublant m’a frappé à la lecture du dernier document de référence d’EDF. EDF y écrit que « le coefficient Kp, de 75,3 % en 2008, est à un niveau proche de celui de 2007 (75 ,6 %). C’est la résultante d’un Kd en 2008 de 79,2 %, en retrait de 1 % par rapport à celui de 2007, compensé par la hausse de près de 1 % du Ku (95,1 %) ».
Le lecteur normal de mon blog ne devrait rien comprendre de ce charabia (ceci dit, j'ai de plus en plus de lecteurs à EDF). Je traduis donc : en 2008 la disponibilité physique des centrales nucléaires (Kd) s’est dégradée de 1%, mais en contrepartie les tranches disponibles ont plus produit : leur taux d’utilisation a augmenté de 1%. Au total la production est restée à peu près égale à celle de 2007.
Alors, me direz-vous, quel est le rapport avec mon interrogation initiale ?
Tout simplement ceci : EDF reconnaît donc ici qu’elle dispose en permanence d’une réserve d’utilisation des centrales disponibles, qu’elle ne met sur le marché que si cela lui convient. En 2008 par exemple, son coefficient d’utilisation (Ku) était de 95%, EDF disposait donc de 5% de marge de production non utilisée. Tout cela ressemble bel et bien à de la rétention de capacité.
D’ailleurs, la comparaison des données publiées dans les différents documents de référence d’EDF montre que cette pratique ne date pas d’hier mais depuis au moins 2004-2005 (voir graphique). On montre avec un excellent ajustement statistique que plus les centrales sont physiquement disponibles, moins EDF les utilise.
Tout se passe comme si EDF essayait de compenser une meilleure disponibilité physique de ses centrales nucléaires par une moindre utilisation, c'est-à-dire comme si EDF pratiquait une rétention de capacité.
Ainsi, si en 2008 EDF avait fait fonctionner ses centrales au maximum des capacités techniquement disponibles (ce qui est la pratique courante pour les exploitants nucléaires de part le monde), elle aurait pu produire 2 400 MW en plus.
Or une étude faite par la CRE pour 2007 (l'étude de 2008 n'est pas encore disponible) montre que 500 MW de production en plus aurait baissé les prix de gros d'environ 3,5 €/MWh. En extrapolant, on peut donc estimer que si EDF faisait le choix d'utiliser sa production au maximum, les prix de marché auraient été en 2008 de 17 €/MWh moins élevés. C'est étrange au demeurant : ces 17 €/MWh correspondent presque exactement la hausse de 20% que M Gadonneix demandait en juillet dernier.
Bien sûr ces calculs sont approximatifs (mais ils sont entièrement explicités), mais ils montrent bien un des termes du débat sur la libéralisation du marché énergétique : peut-on ne plus réguler EDF et lui laisser une incitation à faire monter les prix de gros, pour mieux justifier des hausses des tarifs de détail ?
5 commentaires:
Je tiens à apporter un commentaire sur l'extrapolation du cout marginal des 500 MW aux 2400 MW. Celle-ci me parait rapide étant donné que l'élasticité de la demande est assez faible.
Une augmentation de l'offre d'EDF augmente la taille du palier nucléaire pour l'offre. Ce palier constitue un plancher prix qui limite la baisse des prix du marché de gros.
@Anonyme de 10:49
C'est bien pourquoi je prends sur la fin des précautions d'usage sur les chiffres... Je fais évidemment un raisonnement rapide, mais cependant non biaisé car on ne sait pas trop comment se situe la courbe d'offre sur des différentiels de cet ordre (à ce niveau, on n'atteint toujours pas le socle de marginalité nucléaire). Tout cela mériterait une analyse plus complète évidemment.
Il n'y a que les économistes théoriciens pour croire que le prix de maché doit être égal au coût marginal du dernier moyen appelé. Même au temps du monopole où tout était figé d'avance comme l'hiver qui avait la bonne idée de ne pas dépasser 22 jours par an, existait un facteur dit de péage qui permettait de passer des coûts marginaux aux tarifs afin de lisser les variations tarifaires (on parlait de cible tarifaire)et aussi d'équilibrer le budget d'EDF. Finalement rien n'a changé la cible tarifaire est +20%, la contraine budgétaire assumer certains excés .... Il faut que tout change pour que rien ne change (proverbe qui s'applique particulièrement bien à EDF)
Je trouve qu'EDF ne joue pas vraiment le jeux de la transparence de ses prix...par exemple, je souhaite récupérer 2 informations: à quoi correspondent ces fameuses zones A et B qui définissent leurs tarifs d'électricité et quelle est la grille tarifaire de leur offre de gaz. Impossible de trouver ces informations, ni sur leur site, ni grâce à leur service client...
Si vous pouvez m'aider,...Merci d'avance.
@Anonyme de 12h41.
Les zones A et B correspondent à des zones de tarification du gaz. Il n'y a pas de carte sur le site d'EDF, mais on peut connaître les tarifs applicables sur le site :
http://www.edf-bleuciel.fr/accueil/j-ai-besoin-d-energies/electricite-et-gaz-naturel/les-prix-tarif-bleu-et-mon-contrat-gaz-naturel-141623.html
En espérant que cela pourra vous aider.
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