Je réponds ici à une remarque d’un de mes lecteurs (« De passage ») au sujet de mon billet sur la concession de Paris. Dans ce billet, je faisais valoir qu’une des clauses de l’avenant de concession de la Ville de Paris était léonine. Ce lecteur considère au contraire que le contrat est « globalement équilibré ».
De quoi s’agit-il ?
ERDF, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, voit ses investissements rémunérés à travers les tarifs d’utilisation des réseaux publics (TURPE) que paient les utilisateurs du réseau (c'est-à-dire, in fine, vous et moi). Les coûts pris en compte couvrent l’amortissement des biens et une rémunération des capitaux engagés à un taux fixé par la CRE, en l’occurrence 7,25%.
Ce tauxl prend en particulier en compte les risques spécifiques de l’activité d’ERDF. C’est pourquoi ce taux est nettement supérieur au taux de la dette « sans risque » (pour plus de détail, consulter l'exposé des motifs de la CRE).
Prenons l’exemple d’un investissement de 100 M€ d’une durée de vie de 30 ans (l'exemple est détaillé dans le tableau joint). Le TURPE intégrera un montant de 10,6 M€ la première année, soit 3,3 M€ pour l’amortissement et 7,3 M€ pour les charges de capital. La seconde année, le TURPE prendra en compte des charges de capital réduite car elles seront basées sur la valeur de l’investissement après amortissement (Valeur Nette Comptable ou « VNC ») : il n’y a en effet pas lieu de rémunérer des investissements qui ont déjà été « remboursés » via l’amortissement sur les périodes précédentes.
Le principe de fixation est ainsi exactement le même que pour un prêt amortissable de type immobilier (sauf que les annuités ne sont pas constantes) : les clients paient à ERDF l’amortissement et les « intérêts » sur les capitaux restants à amortir.
Cependant, pour un prêt immobilier, la clause de sortie (dite de « rachat de prêt ») est calée sur la base de 6 mois d’intérêts ou de 3% du capital restant dû. Cette clause est essentiellement justifiée par le souci de ne pas laisser les emprunteurs « arbitrer » en cas de baisse des taux, risque qui n’a de ce fait pas d’équivalent dans le secteur électrique. En l'absence de ce risque, le rachat devrait se faire gratuitement.
On devrait donc s’attendre à ce qu’en cas de sortie, ERDF ne puisse être compensé qu’à hauteur de la valeur nette comptable (VNC). Tel n’est pas le cas, la clause indiquée du contrat de concession prévoit en effet qu’ERDF soit compensé à hauteur de la VNC réévaluée au coût du capital.
Elle stipule en effet expressément que "la réévaluation des financements non amortis du concessionnaire [ERDF] s'effectuera au taux de 7,25% par an, par référence au taux de rémunération des actifs gérés par le concessionnaire, fixé par les décisions ministérielles des 23 septembre 2005 et 5 juin 2009 relatives aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. Elle prendra effet au 1er janvier 2005."
Une note de bas de page précise d'ailleurs, pour lever toute ambiguïté que "la valeur réévaluée de l'année N est obtenue par application à la valeur nette comptable de l'année N du taux de réévaluation depuis l'année de mise en service jusqu'à l'année N-1".
Prenons à nouveau l’exemple d’un investissement de 100 M€ d’une durée de vie de 30 ans. Si la Ville de Paris décide de remettre en cause le contrat de concession au bout de 10 ans elle devrait payer à ERDF la somme de 66,6 M€ (VNC) inflatée d’un facteur 1,0725 à la puissance 10, soit 134,2 M€ ! Les montants considérés qui avaient été rémunérés via le TURPE seraient ainsi rémunérés une deuxième fois.
La « pénalité » serait donc de 67,6 M€ soit 34 fois plus élevée que celle d’un prêt immobilier (qui serait de 3%*66,6 M€=2,0 M€) alors même qu’il n’y a pas de risque d’arbitrage financier à couvrir.
Beaucoup plus fort : la rentabilité des investissements (taux de retour interne ou TRI) serait alors de 11,69%, donc nettement supérieure au coût du capital pris en compte par la CRE.
La clause considérée, qui permet sans fondement d’obtenir (en cas de remise en cause du contrat de concession) une rentabilité nettement supérieure aux coûts et aux risques d’ERDF est donc indubitablement déséquilibrée.
Quand bien même cette clause ne serait pas considérée comme léonine, il est probable qu'elle susciterait de nombreuses interrogations à Bruxelles.
2 commentaires:
Bonjour,
Je ne m'étais pas loggé la dernière fois, je l'ai fait cette fois pour faciliter nos échanges ultérieurs.
A la lecture de votre billet de précisions sur mon commentaire à propos de l'avenant signé par la ville de Paris, je comprends mieux votre position initiale.
Cependant, pour vous permettre de mieux comprendre ce qui fonde mon sentiment "d'équilibre", voici quelques précisions rapides sur ce qui m'a conduit à ce jugement :
- la rémunération des investissements par le TURPE ne porte pas sur l'intégralité des investissements et exclut notamment les amortissements des apports "historiques" (la rémunération des 7,25% porte sur la "Base d'Actifs Régulés" qui exclut certains éléments)
- certains éléments sont déduits du montant de l'indemnité et notamment le montant des "investissements non réalisés". Par ailleurs, l'indemnité est plafonnée.
- au delà de ces dispsotions financières, l'avenant prévoit que Paris a la garantie d'être un site pilote pour un certain nombre de chantiers de modernisation. Il faut savoir que les sites pilotes des expérimentations sont traditionnellement situés en province. Ces clauses permettent à la ville de bénéficier de certains services "en avance de phase" et ainsi de faciliter ses propres projets qui font partie du package électoral de la mairie en place
- les engagements sur les délais de raccordement des sites de production sont forts quand on connait d'une part les délais moyens de raccordement des sites de production en France et d'autre part les difficultés que posent ces raccordements au niveau technique
- dans le prolongement du point précédent, il faut savoir que l'obligation de rachat des EnR (énergies renouvelables) desdits producteurs à un prix très supérieur à celui de l'énergie revendue à ces mêmes producteurs, conduit cette activité d'énergie propre à être rémunératrice. Or, la ville a un projet de "ferme photovoltaique" qui bien avant d'être une source d'énergie propre, sera un moyen de rentrer des liquidités par ce mécanisme de rachat.
"De passage"
Merci de votre commentaire long et précis qui m'aide à comprendre votre point de vue.
Quelques remarques :
1- l'exclusion de certains actifs de la BAR résulte du fait que ces actifs n'ont pas été financés ab initio par ERDF (et évite donc qu'ERDF soit rémunéré sans cause) ;
2- je prends votre point sur le plafond (cependant il s'agit d'un plafond à une rémunération "excédentaire") ; En l'absence d'éléments précis, je ne sais pas à quel hauteur il interviendra ;
3- que Paris soit "pilote" plaît sans doute à la municipalité ; cependant, les coûts correspondants seront intégrés dans le TURPE -donc ERDF est "neutre" de ce point de vue- et payés par l'ensemble des clients français, ce qui me pose question ;
4- même remarque pour les délais de raccordement ;
5- les surcoûts d'achat des ENRs ne sont pas payés par ERDF, ni même par EDF, puisqu'ils sont compensés par la CSPE.
Joyeux Noël à vous,
4E
Enregistrer un commentaire